ACCUEIL » PUBLICATIONS » ANCIENS NUMEROS » L’Afrique dans le XXe siècle. Savoirs, concepts, méthodes et doctrines scientifiques, numéro 3, volume 1, janvier 2020 » Articles de ce numéro
AN = Bulagu.Samuel Mbadinga, Jean Joseph Bissiemou,
Bulagu est le terme usité en langue Ipunu (une langue bantou parlée dans le sud du Gabon), pour nommer la « folie ». Dans la même langue, dilagu désigne le « fou ». Depuis des temps immémoriaux, au gré des contextes, des époques, des milieux, des circonstances et de situations de vie, chaque groupe linguistique, s’est dotée soit d’un mot ou de plusieurs soit d’une expression langagière ou de plus, pour nommer la folie et la sagesse. Dans ce sens, bien qu’évoquant l’aliénation, le déséquilibre mental, la démesure, l’errance et la déraison, la folie n’est jamais loin de la sagesse, l’une faisant peser des contraintes sur l’autre, et vice-versa. Au contraire de la folie, la sagesse renvoie à la raison, la tempérance, la mesure, le bon sens, le jugement juste à rendre dans un conflit, la capacité de distanciation par rapport aux événements auxquels on peut être confronté. La présente contribution se veut être une approche psychopathologique des images et marges de la folie, dans la vie quotidienne, en contexte interculturel, en référence à la perspective Freudienne (1901 ; 1985), dans laquelle il entreprend de trouver une signification inconsciente à certains actes ou manifestations ordinaires considérés comme anormaux chez l’être humain, sans qu’ils ne correspondent aux critères définissant la folie. L’objectif assigné est de montrer que si le paradigme de la folie est universellement admis et constitue une forme de décrochage du sujet de la « la réalité matérielle » (S. Freud, 1900 ; 1967), il n’en va pas pour autant ni de son caractère polysémique ni des seuils de tolérance qui eux, sont culturellement et socialement codifiés, et donc à géométrie variable. Notre intérêt est de tenter de saisir quantité d’idées véhiculées autour de la notion de folie à travers le temps, l’espace et les nombreux sens différents que l’on a toujours attribué à ce mot vieux comme le monde (Y.-H. Haesvoets, 2015). 1. Quelques considérations d’ordre général1.1. Définitions 1.2. Brève histoire de la folie et son rapport à la culture Folie, maladie et culture : quel sens ? Au cours des siècles, le sens donné à la maladie a souvent varié selon le temps, l’espace et la culture où l’histoire de la folie trouve son explication aussi bien dans les théories magico-religieuses ou animistes que dans les théories rationnelles ou expérimentales. Les premières attribuent à la colère divine ou démoniaque, la cause de la maladie, envisagée comme la conséquence de la sanction d’une faute, d’un péché, d’une transgression volontaire ou non de la Loi (F. Laplantine, 1986). Conception présente dès l’antiquité (Dachez, 2004) où la folie est associée à un aveuglement, une errance sans but ainsi qu’à la violence. Le terme folie est une notion extrêmement polysémique au point que les images de la folie ont toujours été nombreuses, riches, variées et hétéroclites, leur utilisation pouvant se faire de manière triviale et/ou péjorative (Y.-H. Haesvoets,op. cit.). Certains auteurs comme M. Reynaud et al., (1989), considèrent que la folie est non seulement une expérience humaine individuelle et sociale mais également la perception sociale et culturelle de la façon de faire et de la manière d’être au monde d’un individu. Et qu’à cet effet, il introduit l’ombre portée de la maladie mentale, notamment ses différences irréconciliables avec les autres maladies. Chaque société fait ses fous, définit leur statut de fou, et crée, pour les prendre en charge, une institution qui ne peut que les transformer en objet (M. Mannoni, 1970). Le fou investit la marge, se meut dans des espaces publics tout en étant coupé du monde. Il tient un discours en rupture avec la réalité, et dont l’histoire s’écrit à partir des frontières et des seuils subjectifs. Si comme le pense Foucault, cette réalité ne peut exister que dans une société, et nullement en dehors des formes de la sensibilité qui l’isole et des formes de répulsions qui l’excluent ou la capturent (1972), elle ne peut faire abstraction de la culture et du temps qui en constituent la substance et y introduisent les variations. S’agissant des images, rappelons qu’elles renvoient à la représentation des choses et évoquent le contexte comme condition nécessaire à sa compréhension. Cependant, l’image habituelle de la folie n’est pas préférentiellement connotée à la maladie, mais plutôt à des jugements moraux ou à des mythes, relativement constants dans l’histoire de l’humanité » (M. Reynaud & al., 1989). Et Parmi les images qu’évoque la folie, il y a, entre autres, sa dangerosité, son imprévisibilité, sa supposée contagion et son incurabilité. Mais l’accent est également mis sur le sens figuré des mots « folie » et « fou », compte tenu de toutes les significations qu’ils charrient. A propos des marges, elles désignent les espaces d’inflexion du sens de la folie qui situent certains actes, pensées, paroles ou manifestation, au bord de la folie pure. Ce qui, dans une certaine mesure, laisse, in fine, envisager une sorte de réconciliation entre le normal et le pathologique au sens de G. Canguilhem (1966 ; 2015) qui soutient l’idée d’une altération qualitative qui sépare le normal du pathologique. Aussi, accorde-t-il à l’expérience, dans sa dimension affective et non à la science, la capacité pour le vivant de reconnaître les catégories de santé et de maladie. En se référant à certains archaïsmes archétypaux, la folie véhicule certaines images qui vont de la honte et du tabou, à la violence et la haine, en passant par la peur, l’angoisse et la colère (Y.-H. Haesvoets, op.cit.). Devenue par la force des choses et du temps synonyme de civilisation (sous l’influence de l’anthropologie anglosaxonne), la culture désigne l’ensemble des traditions, techniques et institutions qui caractérisent un groupe humain (G. Durozoi, A. Roussel, 1997). Ainsi comprise, la culture est essentiellement normative et participe à la construction de la personnalité. 2. Questionnement et examen critique autour des images et marges de la folieD’une culture à l’autre, et selon les sociétés et les époques, des multiples façons s’offrent à la folie pour faire images et marges. C’est ainsi que l’on peut se demander, comment le fou est-il perçu sous l’angle culturel et social ? Quels sont les marqueurs socioculturels de la folie ? Comment les images et les marges de la folie, saisies dans le temps et l’espace de la psychopathologie de la vie quotidienne interculturelle, s’articulent-t-elles au procès d’une économie ad hoc ? Comment ce qui s’apparente à la « folie » tente-t-il de se faire reconnaitre comme moment disruptif de l’épreuve de réalité à travers une instrumentalisation signifiante ? Dans son usage courant, le mot « folie » fait-il systématiquement entendre ce qu’il est sensé nommer ou bien est-il de nature à épouser les situations, les contextes ou les lieux de sa production ? En prenant en compte la multiplicité et la diversité d’expressions portant et comportant la notion de « folie », sa polysémie ne connote-t-elle pas tout simplement une difficulté à circonscrire le périmètre de son énonciation ? Dans tous les cas, loin de lever certaines ambiguïtés cette polysémie n’est-elle pas de nature à les renforcer, aussi bien dans l’énonciation que dans le sens inféré ? Doit-on systématiquement se limiter à définir la folie par opposition à la sagesse ou à la raison, ou bien doit-on admettre, comme l’a fait Freud pour ce qui est du normal et du pathologique, l’hypothèse risquée d’une simple différence de degré et non de nature ? En portant sa réflexion sur « comment penser la folie ? », Ch. Fierens (2005) suppose la présence d’un grain de folie chez tout être humain, présomption qu’il problématise à l’aide des interrogations suivantes : « Qui n’a jamais perçu une sensation sans fondement dans la réalité ? Qui n’a jamais conçu un argument sans rapport avec la réalité ? Qui n’a jamais voulu un acte qui défiait la réalité ? Comment penser ces écarts de la perception, ces absurdités de l’intelligence et ces extravagances de la volonté qui sont susceptibles de se présenter chez tout un chacun ? Comment en parler si ces folies défient le fonctionnement de toutes ces facultés ? Comment pourrait-on se fier au bon sens pour guider la parole si le grain de folie germe déjà dans un coin perdu du bon sens ? » (2005 : 7). Tout ce questionnement semble se résumer à l’idée d’une frontière ténue entre ce qui pourrait relever de la folie et ce qui ne le serait pas. 2.1. Problème 2.2. Question de recherche 2.3. Hypothèse 2.4. Examen critique de quelques données du champ lexical relatif aux signifiants « folie » et « fou » En Punu, une des langues bantou parlées au sud du Gabon, Ulagug signifie devenir ou être fou ; le substantif dilagu, désigne le fou, au sens diagnostic du terme et renvoie au statut du sujet présentant un dysfonctionnement mental ; amalagug, verbe conjugué au passé composé, signifie il (ou elle) est devenu(e) fou (folle) ; ugangue bitsafini, expression utilisée en Punu et qui se traduit littéralement en français par « attraper les rameaux ». L’expression pourrait s’inspirer de la situation du naufragé qui voulant se sauver de la noyade, s’agrippe aux rameaux dans un instinct de survie, témoignant ainsi de la faiblesse des liens avec la réalité concrète et de la fragilité de l’ancrage au réel. ; uvule bikutu, autre verbe conjugué avec complément d’objet direct, signifie « se déshabiller, se dévêtir, ôter ses vêtements en public ». Cet acte suppose la perte de l’estime de soi, la perte des limites entre l’intérieur et l’extérieur et évoque un trouble narcissique avec effet sur le rapport à l’altérité ; ubule bipèle se traduit par « casser les assiettes » comme pour rendre compte d’une crise d’angoisse, d’une perte de contrôle de soi ; ulaba biriariamu, signifie « halluciner » ; mavovose ou encore uvose makulini signifie « dire n’importe quoi », « délirer, parler pour ne rien dire » ; Mabuku ngongu peut se traduire en français par « angoisse » ; egulu mabuku ngongu signifie « être angoissé » ; edji na ditengu se traduit par « manger avec un fantôme », « être anorexique » ; usomune se traduit, en français, par la désincarnation et peut être traduit par « dépersonnalisation » ou « possession ». En fang, une autre langue bantou parlée au centre, au nord et à l’est du Gabon, a so eki, désigne « la folie », la maladie mentale, et a kone nnem, « le fou », la personne malade mentale ; afom et aton, désignant le délire. Aso qui peut être traduit par se dépasser, transcender, abuser, délirer, évoque l’idée de sortir de soi, d’être hors de soi. Quant à éki, le terme signifie interdit, tabou. Et le mot composé a so éki, évoque la maladie causée par la transgression de l’interdit, des normes ou règles morales. La notion de nsuso éki, marque la responsabilité du malade dans la survenue de sa maladie. O Koan est l’autre terme fang, utilisé pour désigner la maladie. L’expression en langue fang est akoan nnem. A koan (être malade), nnem (cœur). Sans doute inspiré par la symbolique du cœur en langue fang, considéré comme le centre énergétique de l’humain ou la personne en tant qu’être doué de connaissances, d’intelligence, d’affectivité et d’émotions. A kaon nnem peut dans ce cas, se traduire par l’idée de perdre la raison, alors que nkukoan nnem, serait utilisé comme autre substantif, pour désigner la personne malade. Ce que l’expression donne à entendre est que le fou est insensible, cruel, sans cœur et inhumain. On pourrait même supposer que akoan nnem évoque une maladie ayant une cause naturelle due à un dysfonctionnement physique ou mental, tandis que aso’éki serait une maladie ayant une origine mystique. Afom, est le verbe utilisé en fang et qui correspond à la fois aux verbes « délirer » et « halluciner ». A’fom, forme conjuguée se traduit par « il délire, il hallucine », pour désigner une personne qui parle seule, entend des voix, etc. Le mot fang Aton désigne un comportement agressif déraisonnable, un accès maniaque avec risque de passage à l’acte. A ton (il délire, en français)se dit d’un malade qui présente des troubles de l’humeur euphorique, qui est agité, agressif, colérique, etc. Selon Hélène Carole Edoa Mbatsogo (2015), la folie qui atteint la personnalité humaine, a aussi ses « éki ». Chez les fang, dans le traitement de la folie, tout ce qui est proscrit a un sens et la transgression donne lieu à une sanction. Certains aliments, activités, attitudes, etc., vont être eki pour le fou et pourraient agiter ce pauvre « cœur fragile » (déséquilibré, instable) et provoquer de nouvelles crises. Cas de la proscription de la consommation de certaines viandes (gazelle), etc. y compris l’eau utilisée pour les bouillir. En Gisir, une autre langue africaine parlée au sud du Gabon, bivulu désigne la folie ; gubèl bi vulu signifie être fou ; gubul bi pèl, signifie casser les assiettes ; gutabul du rémbu se traduit littéralement par traverser la rivière ; guvévile signifie déambuler, errer ; gube ne bi vulu signifie devenir fou ; tube bipopu veut dire, raconter n’importe quoi, dire des choses insensées ; gupambemuge signifie délirer ; guambile ne meténgu se traduit par parler avec les fantômes, et qui signifie délirer ; gulu mambu ne punge se traduit littéralement par entendre les choses à travers le vent, ce qui renvoie aux hallucinations auditives ; gutsiémugilu signifie ne plus avoir de repères, avoir perdu ses repères, ce qui pourrait évoquer la confusion mentale ; gubèle est le terme générique qui signifie maladie. En français, plusieurs expressions montrent l’extraordinaire polysémie des termes « fou » et « folie ». C’est le cas d’« avoir un grain de folie ». Cette expression évoque la présence d’une dose minime de folie chez une personne qui reflète une tendance à une conduite brusque, étrange et inhabituelle et qui fait penser à un moment de folie passagère, ce qui va plutôt dans le sens d’accorder des marges à la folie pure. Paradoxalement, un espace peut contenir un « monde fou », tout comme « il peut être fou de monde ! » Il s’agit, ici, de décrire la présence nombreuse en termes de dépassement des limites, l’affluence et la multitude de personnes rassemblées en un lieu, pour un temps et une cause donnés. On parle aussi d’une « histoire de fou », qui peut s’entendre non pas comme une histoire racontée par un « fou », ou concernant un ou des fous, mais plutôt comme histoire étrange, troublante, déconcertante, incompréhensible, disons, « une histoire à dormir debout ». Associé à l’expression de la gaieté ou généralement de l’humeur euphorique, on parle de « fous rires », pour traduire la bizarrerie dont ils dénotent par le côté irrépressible, étonnant, bruyant et incontrôlé, anormal et excentrique. Ce qu’il faut entendre ici, c’est qu’il peut, de temps à autre, nous arriver de rire comme le ferait un fou, sans raison apparente (pour l’observateur) mais sans pour autant être « fou ». L’expression illustre bien l’idée que la folie peut aussi et par moment s’exprimer par le rire, ce que l’on retrouve dans la névrose hystérique, les psychoses aigües telles que la bouffée délirante polymorphe, la confusion mentale, l’hypomanie et la manie ou encore la psychose chronique telle que la schizophrénie dont la paraphrénie est l’une des formes d’expression (avec les rires immotivés). Dans le même sens, on peut également être « fou de joie », rappelant ainsi que la joie peut inonder un être humain, l’envahir, au point de l’amener à perdre momentanément contenance. Dans le registre des émotions, l’on retrouve la locution adverbiale « fou furieux », pour signifier la folie associée à la furie, à la fureur brutale, à la rage, ou à la colère extrêmement violente. Il revient que sous l’effet d’un accès de colère, on est comme pris de folie, la colère étant, pour Horace, une courte folie, la fureur et la rage étant perçues par le commun des mortels comme l’une des manifestations de la folie. En revanche, quand on est « fou d’amour », c’est qu’ « on aime à la folie », avec en arrière-plan, l’idée que l’excès d’amour « rend fou », ou pour être plus prosaïque, que « l’amour rend fou ». Faisant référence au discours produit dans le cadre de l’érotomanie psychotique – en tant qu’illusion délirante d’être aimé – R. Gori est amené à conclure qu’il faut nécessairement être fou pour croire que quelqu’un vous aime (1989). A l’inverse, le « fou-de passion », laisse entendre une forme de consumation passionnelle, démontrant ainsi que Thanatos est à l’œuvre là même où Eros l’a installé avec l’idée qu’on brûlerait d’amour (J. Birouste, 1989). « Etre fou d’amour » c’est perdre toute possibilité de prendre du recul ou de la distance par rapport à l’objet aimé, la raison étant submergée par l’amour. Aussi, l’expression « agir comme un fou » est utilisée non pas en raison du caractère pathologique des actes posés que de l’impression d’être face à des actes incompréhensibles, ce qu’il revient à dire que la personne se comporte en tutoyant les limites posées par le contexte à l’image d’un fou, sans pour autant être malade. Dans le domaine de la sécurité et de la protection, le mot composé « garde-fou » est suggestif d’imprévisibilité et d’insécurité que connote le fou. Il ne s’agit nullement de désigner un quelconque lieu dédié à garder des fous, mais fait plutôt allusion à une barrière de protection pour tous, placée sur les côtés d’un escalier ouvert ou à tout autre endroit dont le rôle est d’empêcher des chutes accidentelles, si l’on n’y prend garde. Sous l’angle religieux, l’appellation « fous de Dieu » est assurément inspirée par le fanatisme et le prosélytisme, pour désigner des personnes qui commettent d’horribles crimes au nom de la religion. Cette forme de terreur est à localiser là où la pulsion s’abrite dans la religion et où le pulsionnel prend la figure du religieux pour se mettre en acte, pour passer à l’acte criminel, comme tentative, pour chacun des acteurs, de trouver des solutions à ses propres conflits psychiques. A l’échelle de la royauté, on parle de « fou du Roi. L’expression figure plutôt le caractère quelque peu farfelu d’un homme qui rappelle le personnage bouffon et comique dont le rôle, à la Cour, était de distraire le Roi et d’égayer sa cour, de tenir, au nom du Roi, des propos scabreux, indécents et licencieux, pouvant heurter la morale, tout en s’autorisant à critiquer, de temps en temps, le Roi, lui-même. Porteur de vérité, le fou du Roi pouvait briser les tabous, en s’attaquant à n’importe quel sujet, avec la liberté de parole et de ton reconnus au fou. Une posture qui lui permettait de s’affranchir d’un certain nombre de contingences morales pour dire la vérité sans aucune crainte de représailles, bien que relevant, en apparence, de la plaisanterie, de la satire ou encore de la moquerie, une manière de personnifier la conscience morale ironique. Néanmoins, il n’échappe à personne que l’« on peut rendre quelqu’un fou », en lui faisant perdre la tête, tout son sang-froid, son calme, toute sa patience mais aussi en le poussant à décompenser, en le rendant malade mental (A. Searles, 1977). Au terme de ce catalogue de mots, locutions et expressions langagières, naturellement non exhaustifs, vectorisant des images et marges de la folie, l’on note une frontière non étanche entre la folie-maladie et la folie apparente, la raison et la déraison, le bon sens et la stupidité. Des images qui instituent des marges entre ce qui relève de la norme, du défaut et de l’excès, de l’acceptable et du tolérable, entre l’imitation (Molière dans Le malade imaginaire) et l’authentique fou de l’asile. 3. Illustration et réflexions sur les agirs associés aux images et marges de la folieA y regarder de près, le terme de folie n’a de sens que lorsqu’il est appliqué à des individus qui eux-mêmes appartiennent à une société et à une culture données. A titre d’illustration, nous rapportons, ici, l’histoire d’un conflit familial relevant de la psychopathologie de la vie quotidienne interculturelle, d’où émerge une scène extravagante et subversive. L’objectif ici, est d’éclairer, par un épisode particulièrement évocateur, les images et marges de la folie. 3.1. Images et marges de la folie dans l’histoire d’un conflit familial 3.2. Commentaire 3.3. Marges de la folie dans la culture et marges de la culture dans la folie 3.4. Des limites conceptuelles 4. Là où la pensée se dérobe de la raisonLa pensée, et de surcroît, le discours de la folie s’inscrit de fait, dans une double dis-continuité spatio-temporelle et socioculturelle. Elle prend racine dans les dys-génésies, les traumas et les contingences socioculturelles. Elle se déploie sur le terrain social et plus précisément celui du lien social, se conçoit et s’écrit dans la déformation du temps, de l’espace, de la représentation et de la perception des objets. La culture se désigne ainsi comme l’un des lieux de son engendrement. Et c’est prioritairement là que se dégagent les conditions de sonorité de la déraison, de la lisibilité d’une pensée défaillante, en biais, à l’envers ou encore « en pas de côté ». L’avènement de la folie renverse les codes et le sens de la culture. Et c’est bien en marge de ses sillons, par la raison tracée, que la folie se fait signe, interpelle la conscience normative. Par la folie, se dévoile les failles de la culture qui, à l’occasion, deviennent transparentes à souhait. Elle nous parle essentiellement de l’humain dépossédé de la conscience de sa propre existence continue. Prisonnier du pathos, il entraîne avec lui, dans sa terrifiante réclusion, le cogito et le logos quasiment insaisissables, en tentant une parole sans fond, très souvent incohérente. En désespoir de cause, le fou qui a perdu sa langue, se résout à parler en confusion de langues, reflet de la dimension de l’inconscient dont Lacan s’est ingénié à démontrer qu’« il est structuré comme un langage ». 4.1. De la polysémie comme condensation métaphorique vecteur d’images et des marges de la folie 4.2. De la condensation comme métaphore 4.3. De l’équivocité de la chaine signifiante dans la référence à la folie ConclusionFigure monstrueuse et subversive, la folie donne une image terrifiante et odieuse de l’humain, mais surtout de l’humain devenu inhumain, pour avoir perdu la raison et le sentiment d’identité. Figure thanatique, l’éclosion de la folie embrase la personnalité, le lien psychique et intersubjectif et le lien social. Que le motif de cette écriture de l’impasse et de l’absence des limites, ait des choses à voir avec l’inscription du sujet dans la culture y compris dans le lien social, ne nous donne pas plus de matière pour saisir la complexité d’une telle irruption/disruption qui peut aller jusqu’à transformer le « fou » en « dépouille mentale » (Usomune, en punu, dans le sens de retirer, d’extirper ou d’enlever l’âme) et/ou sociale. En forçant un tant soit peu le trait, l’on peut difficilement ne pas partager le point de vue de D. Cooper (1978), qui fait allusion à ce fou présent en chacun de nous, en dépit de ce que la personne totalement normalisée ne porte en soi que le cadavre de son propre fou assassiné (Durozoi, Roussel, op.cit.). Elle apparaît non seulement comme modalité de l’être-pour-la-mort mais surtout universelle pour l’être humain, car si la médecine l’objective comme maladie mentale, la psychologie la conçoit comme psychopathologie tandis que la psychanalyse l’appréhende comme manifestation du conflit psychique (G. Amado, 1982). C’est donc, pour le clinicien, le rapport du sujet à la langue, au langage, à la culture et à la société qui donne lieu à la production des images et à l’établissement des marges qui font décider du statut de la folie nourrie de ses implicites. A tout prendre, de quoi la folie est-elle finalement le nom ? L’on peut retenir, en définitive, que le fou n’est pas un être absolument différent des autres humains dans la mesure où, si la folie peut inspirer de l’étrangeté, elle peut tout aussi bien inspirer de la familiarité. La folie est à la fois le nom de l’audace, de ce qui est au-delà, de l’extravagance, de l’inhabituel, en deçà ou contraire au bon sens et à l’usage. Du reste, que le substantif folie ne se réduise pas à la maladie, il appert qu’il s’étend à des situations qui s’en éloignent dont celles qui dépassent l’entendement, tout comme elle peut agir comme moteur de la créativité. Et là s’ouvre une autre question qui est de savoir si le génie ne serait-elle pas de nature à présentifier certaines images et marges de la folie ? Bibliographie1. Ouvrages 2. Articles 3. Documentation numérique 4. Thèse Pour Citer cet article : Samuel Mbadinga, Chimène Ntsame Mboulou, Jean Joseph Bissiemou, Marie Joseph Mouiti Mouiti ép. Ovono, Laure Nzoutsi, « Bulagu. Quelques réflexions autour des images et marges de la folie en Psychopathologie interculturelle de la vie quotidienne », Revue Oudjat en Ligne, numéro 3, volume 1, janvier 2020. Actes du Colloque international de Libreville : L’Afrique au XXe siècle. Savoirs, concepts, méthodes et doctrines scientifiques, Haut de Gué-gué, du 26 au 28 juin 2019. ISBN : 978-2-912603-94-4/EAN : 9782912603944. Numéro ISSN : 3005 - 7566 |